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© ANOUK BRUNEL 2023
© ANOUK BRUNEL ~ 2023
Au delà de l'onde

Certains prennent une plume pour écrire un mot, d’autres les ramassent pour en faire des flèches, des mouches pour pêcher ou pour en faire des ornements de chapeaux. Certains collectionnent les coquillages sur des étagères, d’autres en font des suspensions, des miroirs ou des bijoux nacrés. Enfin, quelques rares et curieux individus les collectent sans savoir vraiment pourquoi au gré de longues marches sur des plages sans nom. Par instinct, ils les ramassent puis les rangent dans un coin. À force de les accumuler, ces trouvailles se mettent à leur parler. Les puissances associatives et interprétatives créent une démarche à la fois inconsciente et objective. Ce cheminement aboutit à la quintessence de l’objet trouvé. Un sens caché du hasard qui donne vie à chaque objet à travers une cascade d’actions, d’inventions et de détournements. Nous sommes finalement au cœur de la démarche surréaliste chère à André Breton. Réinventer le réel en imaginant de nouveaux agencements. L’imaginaire prend forme et se mue en réalité.

    

Bastien Brunel possède ce don originel de transformer les objets de l’imprévu. Ce cueilleur de grèves arpente le littoral et recycle par « automatisme psychique » la nature déposée sur les bancs de sable. Ses formes hybrides sont faites essentiellement de coquillages et de plumes mais aussi de brindilles de bois lavées par le sel, ainsi que  des objets marins dits de curiosité telles les oothèques aux allures de chimères ou les gorgones, véritables éventails de mer. Bastien les regroupe, les place et les déplace sur l’échiquier de sa création. Ses fulgurances inconscientes engendrent une forme puis une autre. Celles-ci gravent ses pensées à travers les reflets fugaces d’un miroir intérieur où lui apparaissent des visages ou des regards.

    

Puis, la pleine conscience opère et l’artiste oriente ses recherches vers des formes plus précises et expressives. L’intrus se métamorphose en masque aux fragrances d’iode ou en un soldat opalin au corps de coquilles perlées.

    

Cette mutation des objets naturels ne se limite pas à un simple faciès ou à l’anatomie. L’anthropomorphisme dégagé par la construction des « collages-objets » résonne avec les origines des hommes. Ces structures, qu’il déploie du cortex jusqu’aux doigts, ne sont pas sans rappeler des objets de divinités ou d’initiation de certains peuples premiers. Comment ne pas entendre des résonances pariétales avec les masques Inuit du Grand Nord Canada ou avec ceux des Malinké ou N’Tomo d’Afrique de l’Ouest ou encore avec ceux des Hopis d’Arizona ! La plupart de ces masques est empreint d’animisme et de cosmogonie. Ces faces en bois aux forces chamaniques transpercent notre imaginaire à travers des excroissances, des saillances, des incrustations, ou des inclusions d’objets négociés ou collectés (perles, morceaux de verres, verreries, tissus, plumes et parfois même des petits coquillages très souvent représentés par des  cauris…). Comme si ce besoin de transformer l’objet naturel et de le rendre humain ou divin transcendait les peuples et les hommes depuis la nuit des temps, dépassant les frontières d’une création unique d’un continent à l’autre.

    

Ainsi sans concertation, un seul et même désir, aux quatre points cardinaux, dessinerait une écriture universelle et intemporelle. Excepté que les œuvres de Bastien Brunel ouvrent une partition à la note résolument contemporaine. Un art populaire, poétique et si actuel ! Chacune de ses découvertes le long des rivages de l’Atlantique semble provoquer un stimuli de la rétine sous des pixels d’images d’aujourd’hui.

    

Tout commence avec ce simple geste, celui  de se baisser pour cueillir les offrandes de l’océan. Puis, vient la sensation d’un léger friselis qui féconde une pensée ourlée qui elle-même finit par s’échouer dans les sables mouvants d’un cerveau inventif. Comme une bulle qui souhaite éclore à la surface de la réflexion, un léger frémissement d’une construction mentale, une analogie d’idées qu’il faut à tout prix agencer et modeler dans son refuge-atelier entre deux cycles de marée ! C’est peut-être cette disposition, cet état d’être que l’artiste insinue lorsqu’il évoque un « au-delà de l’onde ».

 

Hervé Duval, commissaire d'exposition, à l'occasion de la présentation du travail de Bastien Brunel à la galerie Carnet de voyages(Quiberon)en 2024

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